Illusion et dérision [Sujet libre]

Ces temps-ci, tout était calme. Plus que calme... c'était même monotone, complétement mort. Lord Cross avait cessé de faire passer ses traités tous plus inégaux les uns des autres : les impôts de l'Elite baissent pour ceux qui vont régulièrement au théâtre... Tandis que les plus pauvres qui, en plus, ont pu avoir quelques démêlés avec la police payent le prix fort. C'était d'un illogisme fou ! Et personne ne s'en offusquait. En outre, les Stormy Troops semblaient de moins en moins dynamiques et peu enclins à réaliser d'autres plans pour attaquer le gouvernement de front. Pourtant, à chaque minute presque, il venait une idée géniale à Aaron... et de plus en plus périlleuse et téméraire, mais c'était cela qui lui plaisait : mettre un peu de zizanie dans les beaux quartiers de ces bourgeois avares, ou encore poser une bombe à l'entrée de la Police Station juste pour le plaisir des yeux lorsqu'il verrait tous les gros mastodontes stupides et niais, au service de Lord Cross, s'agiter comme des mouches, ne sachant comme réagir. Ou bien, encore mieux ! Prendre en otage le fils ou la fille d'un des grands de ce monde ! Ce projet-là, le jeune homme y réfléchissait depuis qu'il s'était vu élevé au rang de leader des réfractaires. Il y songeait parfois avec gravité, et se demandant si ce n'était pas pure folie rien que d'envisager cette possibilité. Et parfois, l'euphorie l'emportait et il voyait ce rapt comme le coup du siècle, la résolution de tout, la clé de la liberté...

L'astmosphère humide le dégagea de ses pensées et il ressera un peu plus sa veste amincie. En sortant, plongé dans ses réflexions, il n'avait pas vraiment remarqué ce qu'il mettait sur lui. Et maintenant, il s'en voulait. Il portait, en effet, un jean (inséparable!), un T-shirt sans manches de couleur kaki (celui qui arborait ses initiales, il ne le mettait jamais pour sortir, seulement au QG des Stormy Troops ou à la rigueur lorsqu'il était en mission) sur lequel il avait passé une petit veste noire de coton aminci. L'humidité était si intense dans l'air qu'elle s'empreignait dans ses vêtements et il se sentait aussi mouillé et transi que s'il avait plongé dans une piscine d'eau glacée. Un vent froid venant du nord soufflait assez fort pour qu'Aaron sente ses doigts s'engourdir. Ce n'était peut-être pas un tramontane... l'air n'était pas assez sec pour cela. Mais dans tous les cas, ce courant d'air était glacial. Il devait certainement pleuvoir une légère bruine à la surface... et de surcroît le vent devait être beaucoup plus vigoureux. Aaron chercha, avec ses doigts ankylosés, un effet pour couvrir son crâne qui commençait à congeler comme toutes les autres parties non couvertes de son corps. Il dénicha dans la poche gauche son bonnet fétiche : le noir. Il le passa sur sa tête avec un soupir de soulagement. Puis il trouva dans la seconde poche ses mitaines de cuir noir : elles étaient abîmées et la matière plus qu'usée. Mais elles se trouvaient être encore bien pratiques! Ainsi attifé, il se mit en quête d'un endroit où se réchauffer. Ses neurones, maintenant bien au chaud sous le bonnet se remirent à fonctionner plus efficacement et il n'eut pas à réfléchir longtemps pour trouver le lieu idéal.

Il venait d'emprunter une rue plutôt sombre et assez glauque. Mais cette ruelle pourtant était bien connue de tous... et y compris les membres de l'Elite.. même s'ils essayaient toujours de nier ce fait. Il marcha encore quelques mètres tout en croisant des individus plus qu'étranges. Cependant, le jeune homme ne s'en formalisait pas : il connaissait ce quartier depuis son enfance et avait évolué auprès de tous ces énergumènes qu'ils soient criminels, dealers ou ivrognes... Un homme hagard et qui semblait littéralement perdu le regarda passer l'air éteint. Aaron s'approcha de lui et lui tendit une cigarette qu'il avait préalablement allumé. Le type la prit, très étonné et finalement enchaîna avec une bouffée. Le fils Johnson reprit sa route et n'eut à faire que quelques pas avant d'apercevoir la lumière du bar à sa droite. A cette heure (on était en fin d'après-midi) et vu le temps qui régnait au dehors, le pub devait être pas mal rempli. Le jeune homme imagina déjà les clients : un nombre croissant de mecs qui sortaient de leur boulot et avaient besoin de se reposer ou de s'amuser après une journée éreintante, quelques adolescents qui avaient séché les derniers cours pour passer du bon temps... Ce n'était pas encore l'heure des habitués et des alcooliques endurçis. Cette façon d'analyser les choses en fonction du temps et du lieu était très typique chez Aaron : c'était une de ses capacités intellectuelles d'adaptation. Petit, il s'en servait pour savoir à quel moment il pouvait voler sans risquer de se faire pincer. Plus tard, après la mort de son frère, c'était pour dénicher quelques travaux et aussi pour draguer la bonne fille qui ne l'enverrait pas dans les roses. Et maintenant, au sein des Stormy Troops, c'était pour ses missions, son statut et ses responsabilités. Ainsi, avec cette adresse de l'observation, de l'examination et de la scrutation, il pouvait lire facilement les expressions du visage. Et il avait ainsi obtenu de nombreux renseignements sans avoir été obligé de faire parler son interlocuteur. C'était très utile comme aptitude, surtout en tant que leader des ST. Le seul ennui, c'était la fiabilité. Il pouvait se tromper souvent, s'il se laissait distraire par une seule seconde d'inattention. Les émotions des Humains sont si fugaces et versatiles.

Aaron poussa le battant de la porte et la chaleur du bistrot vint le réchauffer instantanément. De plus, une multitude d'odeurs et de bruits vinrent le submerger. Un vrai contraste avec le silence et l'ambiance glaciale de la rue déserte ! Ici, ce n'étaient que cris, rires à gorge déployée, cacophonie de propos sans queue ni tête, effluves de tabac, d'alcool, de café et aussi d'autres produits certainement illicites mais qui ne souciaient personne. Ce pub, c'était un peu le paradis des parias. Tout y était possible ! Les ados pouvaient s'essayer à l'alcool et à la drogue. Les mariés pouvaient passer un moment de débauche et de plaisir avec une quelconque fille de joie, les ivrognes pouvaient se soûler à leur aise, encore plus qu'ils ne l'étaient déjà. Le beau brun paraissait même presque normal et sain dans ce nid de dépravation. Il avança vers le bar, salua le barman d'un signe de tête, et celui-ci s'approcha :

- Qu'est-ce qu'vous voulez ? lui lança-t-il d'une voix bourrue.

Le jeune brun fit une légère grimace et retira son bonnet qu'il fourra dans sa poche. Il passa ses mains dans ses cheveux afin de leur redonner son effet décoiffé et il regarda fixement, d'un regard pénétrant, le vieux bougre de patron. Ce dernier reconnut enfin le client qui se tenait devant lui et ses yeux s'éclairèrent.

- Oh ! Mais c'est qu'c'est le p'tit Johnson ! Alors, Aaron, ça fait un bail qu'on t'as pas vu ici! Tu nous avais zappé avoue!

Le jeune homme haussa les épaules d'un air indifférent, mais bien heureux que le patron l'ait enfin identifié.

- J'avais... des affaires à faire, on va dire.

Il l'inspecta toujours de son regard aiguisé et perçant qui d'ailleurs mettait le barman mal à l'aise, comme la plupart des personnes à qui Aaron faisait subir cet air.

- Oh ! Je vois... murmura le boss, sur un ton entendu, comme s'il avait parfaitement compris ce que voulait signifier les paroles d'Aaron.
En fait, il n'avait rien compris du tout. Il se doutait juste que le jeune homme trempait dans quelques affaires pas nettes... mais il pensait surtout à du deal. Le pauvre homme était bien loin de la réalité ! A côté des missions du fils Johnson, dealer c'était devenu une promenade de santé.

- Tu me sers comme d'habitude.

Le barman s'empressa de sortir une chope et la remplit de bière presque à ras bord, la mousse blanche s'écoulant lentement sur les parois du verre. Aaron sortit une pièce qu'il posa sur le comptoir, refit un signe de tête polie au patron et partit s'asseoir dans un coin, sa pinte à la main. Il s'était installé le plus loin possible des autres clients. La plus proche personne se tenait assise, seule, à deux tables de lui. Il n'y fit pas vraiment attention et préféra boire lentement son verre tout en furetant la salle du regard comme à son habitude. Il tenterait peut-être de mettre son idée folle d'enlèvement en pratique. Finalement, il fouilla sa poche intérieure et découvrit quelques champignons qu'il avait cueilli le matin même. Il n'avait pas vraiment replongé, mais il aimait beaucoup en prendre de temps en temps. Il préférait plus les fumer, que les manger comme certains camés. Il coupa donc quelques minimes morceaux (c'était largement suffisant, et de plus, il souhaitait garder la plupart de ses capacités de discernement) avec son canif. Puis, il sortit un papier étrange, très mince et de couleur jaunâtre. Il plaça minutieusement les morceaux de champignons hallucinogènes, un peu de papier à brûler et enroula le tout en un cylindre jauni. Il devait à peine l'allumer et le fumer rapidement, car sinon, les effets ne seraient pas assez concluants. Toutefois, alors qu'il s'apprêtait à allumer discrètement sa préparation, il remarqua le regard insistant de la personne assise à deux rangées de lui. Il rangea son briquet avec son pétard et regarda cet invidivu bien curieux, d'un air intrigué :

- Je peux vous aider ?

C'est à vous !